"Opération survie" à Soissons contre la suppression de 650 emplois industriels

Quatre entreprises menacées de fermeture

reportage "Je veux bien me battre mais j'en ai gros sur la patate. Où sont les emplois promis ?"

Soissons de notre envoyé spécial

De lourdes fumées noires s'échappent de toutes les entrées de la ville. Comme un message indien, les incendies de pneus signalent la présence des barrages qui, toute la journée du mardi 7 mai, ont bloqué la circulation et les accès de Soissons (Aisne), déclarée "ville morte",fermée au monde extérieur. "C'est plutôt une opération de survie pour se faire entendre. Et il y a urgence", proclame Alain Beaudon, délégué syndical (CGT) de l'imprimerie d'emballage Akerlund and Rausing (A & R) Carton, l'une des quatre entreprises de la ville menacées d'une fermeture imminente.

 R) Carton, l'une des quatre entreprises de la ville menacées d'une fermeture imminente.

Aux 200 salariés de cette unité d'un groupe scandinave s'ajoutent les 305 employés de la chaudronnerie BSL, les 75 de sa filiale Berthier ainsi qu'une soixantaine d'une autre chaudronnerie, Pecquet-Tesson, elles aussi sous le coup d'une liquidation imminente. Au total, près de 650 salariés devraient recevoir leur lettre de licenciement avant la fin mai. Sans compter les emplois indirects des sous-traitants et fournisseurs. Trois ans après l'arrêt de Wolber (Michelin) en juillet 1999, dont 350 des 450 salariés sont toujours en recherche d'emploi, ces fermetures annoncées dans une ville de 30 000 habitants provoquent un électrochoc à l'origine de la mobilisation syndicale et des élus locaux.

"Je veux bien me battre, mais j'en ai gros sur la patate. Où sont les emplois promis ? Et dans combien de temps ?" Des sanglots dans la voix, Corinne Cloatre témoigne de l'inquiétude et de l'impatience de familles doublement frappées. Ancienne salariée de Wolber, elle n'a pas retrouvé de travail, et son mari, ouvrier chez BSL, sera au chômage dans quelques jours. Ces fermetures concomitantes, qui représentent 10 % de l'emploi industriel du bassin, ont un point commun : elles concernent essentiellement des ouvriers hautement qualifiés dotés d'une longue ancienneté dans leur entreprise et en moyenne proches de la cinquantaine, sans espoir de reclassement sur place.

Chez A & R Carton, la décision de fermeture est tombée de Stockholm par fax en octobre 2001, un an à peine après la restructuration et la modernisation des bâtiments, sur la zone industrielle de Saint-Germain (Aisne). Dans ce groupe, ce serait le fonds de pension finlandais, Capmam, actionnaire à 50 %, qui aurait exigé le retour à la rentabilité par une réorientation des unités industrielles vers la Russie et les Etats baltes. Le coup de grâce a été donné après l'arrêt du contrat du lessivier anglais Procter et Gamble, qui assurait 70 % des commandes.

38 % POUR LE FN

Chaudronnerie de haute précision spécialisée dans les installations chimiques et nucléaires pour des sociétés publiques, la société BSL, actuellement occupée nuit et jour, a compté jusqu'à 1 200 salariés. Rachetée partiellement par ses cadres, elle ne s'est jamais remise de procédures successives de dépots de bilan. Et, dans sa chute, elle risque d'entraîner la faillite de sa filiale Berthier. Quant à l'autre chaudronnerie, Pecquet-Tesson, elle aurait été victime de détournements et du "pillage" de ses dirigeants, des financiers belges, algériens et tunisiens sous le coup d'une enquête judiciaire.

Faute de pouvoir s'en prendre à leurs dirigeants, qui ont laissé des entreprises exsangues financièrement, les salariés en sont réduits à se retourner vers l'Etat et les élus locaux. Dans certains quartiers, le vote en faveur de l'extrême droite a atteint 38 %. Dans l'immédiat, ils réclament un plan social sur le bassin d'emploi pour négocier "de justes indemnités", des départs à la retraite anticipés et des reclassements. Mais l'avenir inquiète, d'autant que les premières annonces de réindustrialisation après le choc Wolber tardent à se concrétiser.

Michel Delberghe

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.05.02